Hilter n’avait pas de gisements de pétrole. Pourtant, le régime nazi a été capable de faire avancer de nombreux véhicules, bateaux et avions qui utilisaient des carburants liquides bien réels (et on s’en souvient !). L’Afrique du Sud du temps de l’apartheid n’avait pas accès (enfin officiellement) au marché international du pétrole, et pourtant le pays avait des voitures, qui n’étaient pas toutes immobiles au garage. Question : comment tous ces braves gens ont-ils fait pour alimenter leurs véhicules ? La réponse tient en trois lettres : CTL, pour « coal to liquids« , une technologie pour partie connue depuis les années 1920 et qui permet de « transformer » le charbon en carburants liquides.
Schématiquement, le procédé est simple : on prend du charbon (qui contient du carbone, mais moitié moins d’hydrogène en proportion que le pétrole), on lui apporte de l’hydrogène, et on obtient des carburants liquides. Ce schéma de principe peut se concrétiser de deux manières :
- la première consiste à « gazéifier » le charbon, en brûlant partiellement le charbon avec apport d’air et éventuellement de vapeur d’eau, ce qui produit un mélange de d’hydrogène, de monoxyde et de dioxyde de carbone, ainsi que des oxydes des diverses impuretés contenues dans le charbon (soufre, phosphore, et autres bricoles peu sympathiques diverses). Ce mélange était ce qui sortait des fameuses « usines à gaz » qui . Après épuration des cochonneries ce gaz est envoyé dans une unité de synthèse catalytique qui va produire des chaînes carbonées à la bonne dimension (donc des carburants liquides).
- la deuxième consiste à faire passer un solvant sur le charbon pour en extraire les composés carbonés, qui sont ensuite hydrogénés puis craqués.
Avec le premier procédé, puisqu’il y a une phase gazeuse intermédiaire, le gaz peut aussi être utilisé comme matière première (avec reformage à l’eau il donne H2+CO+CO2), mais dans ce cas c’est un excès d’hydrogène qui va devoir être enlevé pour « alourdir » les molécules de gaz.
Ce procédé (passant par la gazéification) au été mis au point par deux ingénieurs, Fischer et Tropsch, ce qui fait que les technologies « coal to liquids » ou « gas to liquids » sont parfois désignées sous le terme de « procédés Fischer-Tropsch ».
Les carburants liquides obtenus sont proches du diesel, et donc parfaitement adaptés à des véhicules terrestres ou aériens.
Le rendement de l’opération est de l’ordre de 50% (60% en théorie) : l’énergie obtenue dans les carburants à l’arrivée représente à peu près la moitié de celle contenue dans le charbon de départ. Et si en plus nous voulons faire de la séquestration du CO2 au lieu de production, cela enlève encore 20% de l’énergie de départ, voire un peu plus.
Combien cela coûte ?
Une usine Fischer-Tropsch de 100.000 tonnes par an de capacité coûte de l’ordre de 250 millions d’euros (en gros cela coûte 100.000 euros ou dollars d’installer la capacité de produire 1 baril par jour). Avec un coût du capital de 10% à 12%, cela revient à 300 € par tonne de carburant produit, ou encore 40 à 45 euros par baril (évidemment c’est presque deux fois moins avec un coût du capital très faible).
Il faut rajouter à cela le coût du charbon (difficile de faire sans !), sachant qu’une tonne de charbon va donner environ 2,5 barils de carburant (soit la moitié de l’énergie de départ). A 100 dollars la tonne de charbon cela ajoute 40 dollars (disons 30 à 35 euros) par baril. Par contre, avec une tonne de charbon à 20$ en sortie de mine, il ne faut ajouter « que » 8 dollars par baril.
Tout compris, cette technologie devient donc compétitive de manière large (avec approvisionnement sur le marché international), sans capture et séquestration, aux environs de 100 dollars le baril de « vrai » pétrole. Avec un charbon domestique à 20 $ la tonne, un coût du capital faible, et une usine sur le carreau de la mine (pas de coût de transport), on peut descendre à moins de 30 dollars le baril (et moins dans une unité amortie, mais cela ne concerne pas une unité à construire !).
Si nous rajoutons de la séquestration du CO2, le procédé ne donne plus que 2 barils de pétrole (l’énergie supplémentaire alimente la capture et séquestration) et il faut rajouter environ 80 dollars pour gérer cette capture de CO2 pour 2 barils. L’énergie contenue dans une tonne de charbon va alors se retrouver :
- pour 30% à 40% dans le carburant obtenu,
- pour 50% « perdue » dans le process de liquéfaction
- pour 10% à 20% « perdue » pour la capture.
Sur une tonne de charbon initiale on va donc en utiliser – c’est-à-dire en brûler – 600 kg pour la liquéfaction et la capture, ce qui conduira à environ 1,5 tonne de CO2 lors de sa combustion. Séquestrer 1,5 tonne de CO2, à 50 dollars la tonne séquestrée, coûte donc 80 dollars, d’où l’apparition de cette valeur ci-dessus, soit 40 dollars par baril produit.
Au final, le baril de carburant de synthèse revient à 150 dollars avec un coût du capital « normal », des approvisionnements sur le marché international et si nous voulons faire « à peu près propre » au niveau de la production (ce qui ne supprime pas les émissions du carburant quand il est utilisé dans les véhicules). Sur le carreau de la mine cela doit pouvoir descendre à un peu moins de 100 dollars avec séquestration, mais pas beaucoup moins.
Mais dans ce dernier cas les bassins charbonniers ne sont pas nécessairement propices à une injection du CO2 sur place, car les formations géologiques propices pour cette injection (notamment des aquifères profonds) sont situées dans des zones sédimentaires, alors que le charbon pas nécessairement. Et évacuer le CO2 à des centaines ou milliers de km de l’usine peut coûter fort cher, quand on voit ce que cela coûte de transporter du gaz….
Quelle production envisageable ?
Soyons triviaux : si nous envisageons de produire du CTL, c’est pour remplacer un pétrole dont nous aurions du mal à nous passer. Il est donc logique de voir ce qu’il faudrait faire pour avoir une production de CTL qui soit d’un ordre de grandeur pas ridicule comparé à notre consommation actuelle de pétrole. Admettons donc que nous souhaitions compenser 50% de la production mondiale de pétrole, qui est actuellement de 4 milliards de tonnes par an, ou encore un peu plus de 83 millions de barils par jour.
Côté investissement, il faudrait dépenser 40 millions de fois 0,1 million d’euros, soit… 4000 milliards d’euros, sans parler ce qui concerne la séquestration du CO2, les investissements dans les mines pour alimenter le dispositif, les infrastructures de transport à l’aval pour transporter les carburants obtenus (parce que ces carburants seraient obtenus dans les bassins charbonniers, qui pour le moment n’ont ni oléoducs, ni terminaux pour pétroliers, ni aucune infrastructure pour exporter du pétrole), ce qui doublerait ou triplerait probablement le total.
C’est à la fois peu et beaucoup : en ce moment l’industrie pétrolière et gazière dépense 300 milliards de dollars par an en exploration production, et donc le montant indiqué ci-dessus ne ferait « que » 20 à 50 ans de dépenses de cette industrie (moins si la croissance éternelle et magique est là). Mais par ailleurs, aligner 5 à 10.000 milliards d’euros ou de dollars dans un monde qui va probablement traverser un paquet de soubresauts économiques, précisément à cause de goulets d’étranglement sur l’énergie, cela risque de ne pas être si facile !
Côté production de charbon, si une tonne donne 2 barils en version « propre » (avec séquestration), ce la signifie que pour produire 15 milliards de barils par an (ou 40 millions de barils par jour) il faut disposer de… 7 milliards de tonnes de charbon par an, soit l’équivalent de la production actuelle dans le monde. Dit autrement si nous conservons les centrales électriques actuelles au charbon, il faut doubler la production mondiale. Facile, ou pas ?