JANCOVICI Jean-Marc, Transition énergétique pour tous, ce que les politiques n’osent pas vous dire, éditions Odile Jacob, 2011
(240 pages, 8.9€)
NB : ce livre a changé d’éditeur entre la version brochée et la version poche. De ce fait il a aussi changé de titre (l’ancien titre était « Changer le monde, tout un programme ! « , aux éditions Calmann-Levy), mais le texte est le même, comme il se doit avec une version poche.
Commentaire
Le printemps, tout le monde sait cela, c’est l’époque où, travaillé par ses hormones probablement, l’homme (et la femme) se découvre parfois l’envie de… changer le (ou parfois de) monde. Doté des mêmes hormones que tout le monde (même de ceux qui ne pensent pas comme moi, si si !), j’ai donc fait comme tout le monde, et, en ce joli moi de mai 2011, cela se traduit par un bouquin racontant des tas de trucs sur le lien entre énergie et économie. Parler d’énergie, ça c’est original venant de moi, hein ?
Certes oui, mais quand on aime, on peut y revenir un certain nombre de fois. Je ne sais plus qui disait qu’un auteur ne saura jamais écrire qu’un seul bouquin, et que finalement ses livraisons successives ne sont que mille et unes manières de répéter la même chose. Mais à voir la distance qui sépare encore notre civilisation d’une prise de conscience claire des enjeux en matière d’énergie et de climat, mon éditeur peut se frotter les mains : avant que les incitations à faire autrement ne deviennent inutiles parce que nous aurons passé la surmultipliée, il y a de la marge !
Un livre de plus sur l’énergie, donc. Les méchants, et Dieu sait qu’il y en a, me traiteront d’opportuniste, puisque ce livre sort en plein bazar libyen (pays où il paraît qu’il reste un peu de pétrole, ce qui permet aux Européens de jouer leur Irak à eux, c’est-à-dire de découvrir qu’ils ne sont pas copains avec un individu dont ils se sont pourtant fort bien accommodés pendant quelques décennies) et japonais (pays où il y a quelques centrales nucléaires, machine du Diable dont il faut désormais se séparer fissa ; vade retro becquerelas). Ca nous changera des livraisons précédentes, où c’était plutôt les canicules et autres morceaux de banquise qui faisaient la une pile au moment où mon éditeur, encore plus opportuniste que moi, décidait d’offrir à la vente le fruit de mes transpirations de l’année précédente (car un an est le temps qu’il faut à votre serviteur entre les premières lignes et le produit fini ; c’est la vengeance tardive du 4/20 que je me suis pris au bac de français…).
Introduction
À l’été 2005, alors que tant de Français rêvaient d’aller batifoler dans les vagues ou les montagnes, mon complice Alain Grandjean et moi-même avons choisi de passer une partie de notre temps estival à une occupation un poil moins reposante : écrire un premier livre sur la dépendance du monde moderne au triptyque pétrole-charbon-gaz. Nous y expliquions que, pour des raisons physiques, les Français n’échapperont pas à une hausse du prix de l’énergie fossile et que, si nous refusons de nous imposer volontairement cette hausse par la fiscalité, ce seront des tensions sur l’approvisionnement, entre autres, qui se chargeront de régler le problème.
Ces tensions, dans notre délire estival d’il y a six ans, pouvaient se manifester sous forme de récession, de troubles bancaires, de hausse du chômage, de problèmes de financement de l’État et des régimes sociaux, et autres péripéties qui ne font généralement pas partie des objectifs pour l’avenir. Évidemment, nous racontions n’importe quoi : il n’y a pas eu l’ombre d’une crise depuis cette époque, ni économique ni bancaire, n’est-ce pas ? En fait, la survenue des petits pépins que nous avons connus depuis lors est tout sauf surprenante. Dès 2005 ou 2006, alors que nous étions en pleine euphorie économique, il était possible de parier que le chômage allait frapper à nouveau, et le PIB connaître quelques petits soubresauts pas spécialement envisagés par les économistes dits sérieux.
Par amour du pessimisme ? Non : tout simplement à cause du mariage de sang que notre économie moderne a contracté depuis plus d’un siècle avec le sous-sol des pays producteurs de pétrole, de gaz et de charbon, qui ne pouvait que produire ce genre de conséquence dans le contexte de l’époque. Nous avons vécu jusqu’à maintenant la phase ascendante de ce mariage faustien : de plus en plus d’énergie pour tous. Comme pour le vrai mariage, qui est comme chacun sait un repas qui commence par le dessert, les amants terribles que sont l’homme et l’énergie vont devoir sauver leur idylle en phase « descendante » de l’approvisionnement énergétique fossile, qu’elle soit voulue, pour des raisons de préservation du climat, ou subie, pour des raisons d’approvisionnement insuffisant.
Bien gérer la sortie de scène du « Père Fossile » ne va pas être une mince affaire. En 2009, il restait trois ans pour s’engager dans la voie étroite qui nous permettrait de le faire. À quelques mois d’une année charnière pour le monde (élections américaines, échéance du protocole de Kyoto, survenue vraisemblable d’un nouveau choc pétrolier, sans compter que le calendrier maya mettrait la fin du monde en 2012 !) et très accessoirement pour la France (le nouveau président élu en 2012 devra gérer un contexte énergétique et donc économique en décalage fort avec l’idée qu’il s’en fait probablement), nous n’avons toujours pas pris le bon virage et fonçons avec détermination vers une impasse. Combien de temps allons-nous encore hésiter ?
Si l’Europe compte préserver la paix et la démocratie, un modèle social à peu près sympathique, du travail pour beaucoup et une espérance de vie qui ne soit pas divisée par deux, elle n’a qu’un seul pari gagnant à sa disposition. Ce pari, il apparaît désormais clairement : organiser tout son avenir économique et industriel, donc social et politique, autour de la décarbonisation de nos activités. S’y lancer sans attendre, c’est avoir une petite – ou grosse ! – chance de rafler la mise en développant les premiers les modes d’organisation, les schémas économiques, les métiers, les filières et les technologies qui seront adaptés à un monde libéré de la « tenaille fossile », transformant cette dernière en opportunité. Ne pas le faire, c’est condamner la jeune génération à un avenir bouché et la vieille à la honte. Il est encore temps, réveillons-nous !
Erratum
- Page 13 : la monarchie n’a pas été renversée en 1789, mais en 1792. En 1789, c’est juste le roi qui l’a été !
- Page 31 : dans la phrase « et des gens qui vont et viennent pour faire fonctionner tout cela, de milliers de kilomètres, et encore 1,5 milliards de téléphones« , lire « et des gens qui vont et viennent pour faire fonctionner tout cela, des milliards de kilomètres de câbles, et encore 1,5 milliards de téléphones«
- Page 39 : à la place de « pendant les centaines de milliers d’années qui ont séparé » (bas de la page), lire « pendant les milliers d’années qui ont séparé«
- Page 137 : La phrase « Évidemment, si le coût du gaz doit tripler à l’avenir, alors le coût à la tonne de CO2 évitée baissera d’un facteur 3… tant qu’il y aura du gaz » est une belle erreur de calcul, bravo à Antonin Roussel qui m’en a fait la remarque ! En effet, si le prix du gaz triple, le kWh d’électricité au gaz non produit permet d’éviter 10,5 centimes de gaz, alors que le kWh éolien vaut 8 centimes à produire. En pareil cas, l’éolien en substitution du gaz rapporte 63 euros par tonne de CO2 évitée. Ce raisonnement n’est valable que si l’éolienne est construite alors que les centrales à gaz existent déjà, si les deux sont construits ensemble (ce qui a été le cas en Espagne par exemple) alors ce calcul n’est pas le bon : il faut raisonner émissions totales produites par l’ensemble « éolien+gaz ».
- Page 142 : j’ai oublié de mentionner que le calcul sur le coût à la tonne de CO2 évitée intègre aussi le crédit d’impôt et le bénéfice du propriétaire du panneau, et donc que l’économie de CO2 se rapporte au tarif de rachat et non à l’investissement. Avec l’investissement seul ca serait plutôt de la moitié.
Quelques critiques de la presse
Alors que sa sortie était programmée pour janvier 2011 chez un autre éditeur, les hasards de la vie ont fait paraître ce livre 3 semaines après l’annonce de la candidature de Nicolas Hulot à la présidentielle de 2012, et en prime chez l’éditeur de ce dernier. On va voir si ca change les critiques par rapport aux livres « normaux » parus auparavant !
Futuribles, Novembre 2011 (Pierre Bonnaure)
Jean-Marc Jancovici est bien connu du grand public français pour ses apparitions régulières sur la chaîne de télévision TF1 et ses chroniques radiophoniques sur France Info, mais un détour par son CV expliquera mieux la teneur du livre en objet. Ce polytechnicien (X-télécom) recyclé dans la prospective énergétique et climatique, bataille depuis 10 ans pour faire adopter la taxe carbone et l’outil de mesure qu’est le bilan carbone. Son terrain de jeu est l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le Comité de veille écologique de la fondation Hulot, le Comité consultatif du débat national sur les énergies (qu’il a présidé en 2003), le Grenelle de l’environnement. Il a participé à la rédaction du fameux Pacte écologique qui a secoué la campagne présidentielle française en 2007 et suivi de bout en bout le sommet de Copenhague fin 2009.
En 2007, il a fondé, avec Alain Grandjean, le cabinet Carbone 4, qui conseille les entreprises et les ministères en matière de stratégie carbone. Fort d’une compétence reconnue, Jean-Marc Jancovici peut s’attaquer à diverses vaches sacrées, dénonçant notamment la fragilité des espoirs placés dans l’éolien et le photovoltaïque, sur le plan tant de leur potentiel que de leur compétitivité et de leurs mérites environnementaux. S’appuyant sur la méthode du bilan carbone, il montre que certains remèdes peuvent être pires que le mal, par idéologie et par ignorance de l’ensemble des paramètres du système énergétique et écologique. À contre-courant encore, il estime que le maigre butin de Copenhague, tant décrié, est en réalité suffisamment ambitieux pour que les nations prennent à bras-le-corps le gigantesque problème de repenser l’ensemble des mécanismes économiques, sociaux et géopolitiques, bientôt obsolètes.
Conçus dans le cadre, désormais révolu, d’une croissance économique continue sur fond d’énergie surabondante et quasi gratuite, ces mécanismes sont totalement inadaptés à un monde en forte croissance démographique, alors même que la biosphère montre des signes d’intolérance et que les énergies fossiles les plus performantes approchent du pic de production (le pétrole l’a déjà franchi), ne laissant en lice que l’infâme mais incontournable charbon. Si nous ne faisons rien, nos sociétés ne pourront éviter un déclin ponctué de crises économiques et financières toujours plus fréquentes, et plus brutales, qui provoqueront à leur tour l’effondrement des entreprises et institutions que l’on n’aura pas réformées en temps utile.
ll faut réduire de moitié nos consommations sans attendre que les crises le fassent à notre place. Il faut pour cela, non pas jouer la décroissance, mais réformer en profondeur les façons d’habiter et de se déplacer, les modes alimentaires et les façons de travailler, pour arriver à une société « décarbonée » efficace. Un tel programme n’est concevable qu’à l’échelle continentale, soit, pour la France, celle de l’Union européenne, ll coûtera l’équivalent de plusieurs années de produit intérieur brut, alors que les caisses des États sont souvent vides. Raison de plus pour ne pas gaspiller un argent rare en mesures contre-productives, comme subventionner des énergies sympathiques mais inefficaces et des industries en déclin, ce qui ne fait que retarder le moment de vérité et l’inévitable transition schumpétérienne.
Il faut développer la captation-séquestration du CO2, car le charbon avant longtemps sera la source primaire dominante. En rupture avec ses verts compagnons de route, l’auteur estime qu’on ne pourra pas se passer du nucléaire, et qu’il faut donc développer les réacteurs de quatrième génération et régler la question des déchets.
Le levier de la révolution des affaires du monde, c’est la taxe carbone progressive. Impopulaire comme tout prélèvement, particulièrement déplaisante en période préélectorale, cette taxe a pour but de freiner les émissions de CO2 en les pénalisant mais surtout de pousser les entreprises à reconsidérer leurs processus et leur stratégie pour s’adapter avant qu’il ne soit trop tard. Nous devons nous préparer à une concurrence accrue et à un approvisionnement toujours plus difficile en matières premières (notamment énergétiques), dès lors que des milliards d’individus nouveaux entrent avidement sur les marchés d’un monde aux ressources limitées.
Hélas, les vertus pédagogiques de cette taxe ne semblent pas l’emporter sur les craintes de perte de compétitivité des entreprises. Certains gouvernements agissent même à l’exact opposé de la taxe carbone, lorsqu’ils dénaturent les signaux de prix par des subventions ou des quotas, et s’efforcent de bloquer la hausse des prix des carburants pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages et les bilans des transporteurs.
D’un ton enjoué et optimiste malgré le sérieux de la menace, cet ouvrage de vulgarisation fourmille de données repères et de petits calculs de coin de table particulièrement éclairants. C’est une bourrasque d’air frais dans un espace figé par le conservatisme, les idées reçues, les intérêts nationaux ou catégoriels et la tentation du repli.
Le Figaro, 29 juin 2011 (Charles Jaigu)
Demandez le programme ! Pour ceux qui seraient à la recherche d’un diagnostic sur l’état du monde et d’un projet pour la présidentielle de 2012, il suffit d’acheter le dernier livre de Jean-Marc Jancovici. L’auteur est certes un prophète de malheur, mais il propose tout de même un kit de survie. Il a la patience d’exposer dans le détail des solutions qu’il quantifie au million d’euros près. Ingénieur, compagnon de route de la Fondation Hulot, il publie donc un manifeste intitulé tout simplement « Changer le monde ». Un livre qui fait suite à son excellent C’est maintenant ; Trois ans pour sauver le monde !
Avec le talent d’exposition qu’on lui connaît, il démontre la collision certaine entre une économie planétaire dopée et la finitude des ressources en hydrocarbures. Pour lui, le grand théorème de l’accès à la modernité est le formidable effet de levier qu’a représenté la conquête des hydrocarbures dont le stock est gratuit, et a engendré la vertigineuse hausse de notre pouvoir d’achat sur un siècle et demi. L’occasion de rappeler comment la viande de boeuf est devenue un aliment banal, « conséquence directe de la baisse du prix de l’énergie », tout comme… le divorce, et les maisons de retraite. Y compris, bien sûr, l’ordinateur, dont la fabrication coûte entre 200 et 1 000 litres de fioul.
Pour s’en sortir, Jancovici tort le cou aux «fausses solutions » : il nous convainc qu’énergie éolienne et solaire sont deux miroirs aux alouettes, quand le nucléaire reste un moindre mal. En revanche, il propose de gérer une baisse de la quantité de pétrole disponible en instaurant (enfin !) une taxe carbone ; de mettre en oeuvre la séquestration du CO2 dans les centrales à charbon de la planète, car l’énergie qui domine la production électrique dans le monde est le charbon, de lancer un plan massif de rénovation des bâtiments, qui représentent 45 % de l’énergie finale consommée en France, et d’évoluer vers un régime alimentaire moins riche en produits issus de l’élevage bovin, en revenant à une polyculture de proximité… Pour tout candidat en 2012, il y a là de quoi réfléchir pendant l’été.
Les Echos, 26 mai 2011 (Francois Bourboulon)
Jean-Marc Jancovici n’a jamais été tendre avec les écologistes classiques. A l’heure où Nicolas Hulot (avec qui il travaille depuis plusieurs années, notamment en tant que membre du comité de veille écologique de la Fondation Hulot) ferraille dans les primaires d’Europe Ecologie-Les Verts, JMJ a rédigé son programme idéal pour un futur président. Et, comme toujours, cet adepte de la non-langue de bois ne mâche aucun mot.
Polytechnicien et ingénieur des télécoms, spécialiste des questions d’énergie et de climat, dialecticien et débatteur redoutable, il a une obsession : il faut « décarboner » nos sociétés pour les sauver. Parce que le carbone influe négativement sur le climat des prochaines décennies et parce qu’il faut se préparer au déclin inéluctable des énergies fossiles. « La dépendance aux énergies fossiles est à terme une dépendance mortelle pour la démocratie, écrit-il. Il serait temps de s’en préoccuper un peu plus sérieusement. »
Depuis longtemps, Jancovici a compris l’impact des mots et l’efficacité de la vulgarisation. Son « programme » se veut donc précis et pédagogique – même si plusieurs lectures de certains développements sont parfois nécessaires au non-ingénieur pour en capter tout le sens… Parce que nous faisons face à une contrainte aval (préserver un climat stable) et une contrainte amont (se défaire de la dépendance aux énergies fossiles), Jancovici propose des politiques extrêmement volontaristes. C’est simple : « Pour franchir le mur du carbone, il faut avant tout réduire la demande d’énergie », donc inventer de nouvelles façons d’habiter (le bâtiment consomme 45 % de l’énergie finale en France) et de nous déplacer. Et changer d’énergies…
En ce domaine, selon lui, le seul choix est d’opter pour « les » nucléaires et le renouvelable. En bon provocateur, il affirme que ce qui vient de se passer au Japon « est paradoxalement plutôt une bonne nouvelle pour le nucléaire ». Face aux dégâts gigantesques, en effet, « les conséquences pour la population de la destruction de quelques réacteurs seront marginales dans l’ensemble ». Des positions qui font évidemment hurler les écologistes (et que Nicolas Hulot se garde bien de reprendre à son compte ces temps-ci). Mais le postulat de JMJ est que le nucléaire ne doit pas être plus dangereux qu’une autre installation industrielle majeure placée dans les mêmes conditions. Et il recommande d’accélérer la recherche sur les centrales nucléaires de quatrième génération, censées être plus sûres.
« Tout un programme » ne plaira pas à tout le monde, c’est une évidence. Peu importe : pour Jancovici, « la décarbonisation de l’économie est une affaire d’une telle ampleur qu’elle mérite mille fois le titre de « projet de société » » et il faut s’y attaquer vite. Cet autoproclamé « comptable du carbone » s’est fixé une mission : réconcilier l’environnement et l’économie. « La défense de l’environnement, lance-t-il, doit devenir une préoccupation primordiale de nos sociétés ; et donc de notre économie, non parce qu’il est immoral de le dégrader, mais parce que c’est le patrimoine sur lequel nous fondons notre survie et notre prospérité. »
Agence France Presse, 24 mai 2011 (anonyme)
A quelques encablures d’une année 2012 capitale (élections en France et aux Etats-Unis, échéance du protocole de Kyoto), l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste de la question énergétique, livre son « programme » pour anticiper l’épuisement des énergies fossiles et contenir le réchauffement climatique. « Si nous voulons relever le défi du carbone (…), il va falloir se creuser un peu la cervelle pour transformer le défi en projets », écrit celui qui est un vigoureux défenseur de la taxe carbone. « L’atout maître de la décarbonisation de l’économie »? C’est qu’il « appelle des emplois », affirme Jancovici, qui énumère les mesures à prendre rapidement dans le bâtiment ou les transports. Un « programme » qui, pour celui qui fut l’un des conseilleurs de Nicolas Hulot à sa Fondation, passe aussi par le nucléaire, en dépit de l’accident japonais en cours. « De même que les accidents d’usines chimiques n’ont jamais disqualifié la chimie en tant que telle, Fukushima ou Tchernobyl ne disqualifient pas le nucléaire en tant que tel », dit-il, sans crainte de « ne pas vraiment être politiquement correct ».
Le Nouvel Observateur, 19 mai 2011 (Guillaume Malaurie)
Nicolas Hulot vient donc de rallier le camp des partisans de la sortie du nucléaire. Mais s’il a si longtemps hésité, c’est que son excellent expert, Jean-Marc Jancovici, a toujours soutenu que, sans le renfort de l’atome, la bataille contre le réchauffement climatique risquait d’être perdue. Celui-ci vient de récidiver dans un livre costaud et dont le diagnostic sur la pénurie des énergies fossiles est parfaitement convaincant. Sûr de ses chiffres, hanté par le triomphe du charbon, Jancovici plaide pour une rénovation énergétique de tous les bâtiments (500 milliards d’euros).
Comme Michel Rocard et Alain Juppé, il veut accélérer les recherches sur les centrales nucléaires 4e génération, celles qui sont censées garantir une « sûreté sans faille ». Où prendre les sous ? Eh bien du côté des énergies renouvelables, qu’il juge, pour l’essentiel, inutiles : « II suffit d’abandonner demain matin les tarifs de rachat de l’éolien et du photovoltaïque, ainsi que le budget de développement d’Iter… », martèle-t-il. Et les leçons de Fukushima ? « Si le postulat est que le nucléaire ne doit jamais tuer personne, alors cette énergie sera disqualifiée quel que soit le raisonnement, mais si le postulat est qu’il ne doit pas être plus dangereux qu’une autre installation industrielle majeure placée dans les mêmes conditions, alors le tsunami japonais constitue un stress test » pour les réacteurs en construction. Voilà une analyse qui promet d’animer encore un bon moment les conclaves d’Europe Ecologie.
Libération, 30 avril 2011 (Vincent Giret)
Mais qu’est-ce qu’on attend ? Livre après livre, Jean-Marc Jancovici n’en revient toujours pas. En 2009, cet expert patenté du dérèglement climatique nous avait donné Trois ans pour sauver le monde (Seuil). Et depuis, nous n’avons rien fait, ou si peu… Ou plutôt si, aveuglés par le déni, nous continuons de foncer droit dans le mur en klaxonnant. A cette folle allure, l’accident est pour demain… la seconde moitié de ce siècle.
Vous n’avez pas tout à fait en tête le tableau ? Jancovici se fait un plaisir de vous le rappeler : nos modes de production et de consommation vont inévitablement provoquer l’effondrement de notre système shooté au toujours-plus-d’énergie-pour-tous. Une longue période décroissance et de chaos s’ensuivra dans un monde fragmenté et conflictuel. Diable ! L’auteur traîne pourtant derrière lui une solide réputation de sérieux, à cent lieues des talibans verts ou des millénaristes.
Son livre, plutôt que d’agiter les grandes peurs, constitue d’abord une tentative de baliser le chemin d’un sursaut radical. Il retrace méthodiquement les petits pas et les avancées qui, du Club de Rome, à la fin des années 60, au sommet de Copenhague sur le climat, en 2009, en passant par le Grenelle de l’environnement, ont commencé à faire bouger les choses. Consultant pour des entreprises, des politiques et des associations, Jancovici ne s’en cache pas : il cherche à imposer cette thématique aux prochains candidats à l’élection présidentielle.
Cet ingénieur polytechnicien allie le sens du concret à celui de la formule. Déjà, en 2007, il était, avec quelques autres, derrière le fameux «pacte écologique» que Nicolas Hulot réussit à faire signer à tous les grands candidats à la magistrature suprême. La trop fameuse «taxe carbone», une vieille idée remise au goût du jour, c’était lui. Cette fois, son projet ne se limite plus à quelques grandes mesures emblématiques. Le «plan» Jancovici propose ni plus ni moins «d’organiser tout notre avenir économique et industriel, donc social et politique, autour de la décarbonisation de nos activités». Forte hausse de tous les prix de l’énergie, nouvelles réglementations drastiques, mise en place de monopoles publics, refonte de la fiscalité, relance du nucléaire (oui, même après Fukushima)… Le tout financé en grande partie par la grâce de la Banque centrale européenne et de sa création monétaire.
C’est peu dire que l’Etat règne dans le petit monde de Jancovici ! Au final, la toute-puissance de cette machinerie effraie quand même un peu. Loin de la dynamique vertueuse du Grenelle mêlant tous les acteurs et toutes les énergies (positives cette fois), ce plan dirigiste et quasi martial semble mettre à distance la démocratie. Il faut avancer à vive allure, certes, nul ne plus en douter après le diagnostic de l’auteur, mais il manque encore une méthode politique convaincante pour embarquer les citoyens dans ce sauvetage planétaire.