Le 23 septembre 2002, M. Jeremy Rifkin, directeur de la Foundation on Economic Trends, a publié dans Le Monde du 24 septembre 2002 un article où il disait en gros :
- que l’Europe était engagée sur la voie de la « sortie du fossile », c’est-à-dire une évolution vers un abandon volontaire progressif de ces énergies (charbon, gaz, pétrole),
- que l’hydrogène, dont la combustion ne produit que de la vapeur d’eau, était l’énergie de l’avenir.
A la suite de cet article j’ai envoyé une lettre au médiateur du Monde, qui a fait l’objet d’une publication dans le courrier des lecteurs, mais avec la suppression de certains passages, surlignés en gras ci-dessous.
Monsieur Rifkin est un homme dont l’optimisme est bienvenu, car parler d’avenir énergético-climatique sans avoir quelques pensées moroses est un exercice que seul le président de l’IEA parvient à faire. Son dynamisme et son « énergie » font donc plaisir à voir.
Toutefois, ni son optimisme, ni le mien, qui sait aussi être fort grand, ne pourront changer le monde tel qu’il est, hélas. Si l’hydrogène est très abondant dans l’univers, notre planète est une exception : il n’existe pas d’hydrogène à l’état natif sur Terre, et récupérer celui du Soleil poserait quelques problèmes pratiques.
Pour utiliser de l’hydrogène sur Terre, il faut donc produire ce gaz « propre » à partir d’autre chose (qui peut très bien ne pas être propre du tout), ce qui ramène l’hydrogène à un banal vecteur énergétique, comme l’électricité (qui peut, selon les modes et l’opinion de la société, être considérée comme « propre » ou pas, les définitions variant du reste d’une personne à l’autre). Les bilans de filière (vous pouvez vous renseigner à l’IFP ou …. à l’association française de l’hydrogène) indiquent que si cet hydrogène est produit à partir de gaz naturel par craquage, comme c’est actuellement le cas, les émissions de CO2 induites par ce procédé rendent cette solution pire pour le climat que la combustion directe de l’essence dans une voiture.
Si cet hydrogène est produit par électrolyse, les émissions sont celles de la production d’électricité, qui ne saurait donc être qu’hydraulique, éolienne, solaire ou nucléaire pour ne pas émettre de gaz à effet de serre. Prenons l’exemple de l’éolien : « hydrogéner » toutes les voitures françaises nécessiterait la construction de près d’un million d’éoliennes pour produire 600 TWh, et encore, en comptant pour quasiment 0 l’énergie – certainement non nulle – requise pour le stocker (la simple compression à 300 bars consomme déjà 20% de l’hydrogène produit ; la liquéfaction 50%) et le transporter.
Des calculs analogues montrent que le solaire est aussi totalement « en dehors des clous » au niveau actuel de mobilité, et restent donc l’hydroélectricité, au prix d’une multiplication des lacs de barrage par 10 à 15 en France, ou le nucléaire, au prix d’une multiplication des centrales par 2 en France.
D’une manière générale, quelques calculs d’ordre de grandeur montrent qu’il est rigoureusement impossible de conserver notre mode de vie actuel uniquement avec les renouvelables, dussent-elles être converties en hydrogène pour des raisons diverses.
Enfin lorsque M. Rifkin indique que l’Europe est engagée dans son combat de « sortie du fossile », BP et Shell en tête, je crois qu’il est décidément très optimiste ! La seule sortie annoncée à ma connaissance en Europe est celle du nucléaire en Allemagne et en Belgique, ce qui tend à rendre la question de la lutte contre le changement climatique plutôt plus ardue, et la Commissaire aux Transports de l’UE a « prévu » que la dépendance de l’Union aux importations de combustibles fossiles va passer de 50% aujourd’hui à 70% dans 20 ans. Comme « sortie », on fait mieux !
En croyant peut-être bien faire, mais ignorant des ordres de grandeur, M. Rifkin nous rend un bien mauvais service : celui d’entretenir de faux espoirs.