Tribune parue dans le magazine Tribunes Parlementaires Européennes en mars 2012
Qu’est-ce qu’un réseau électrique ? La réponse est assez simple : ce sont des câbles et des transformateurs qui vont des centrales électriques – qui crachent de grandes quantités de courant à très haute tension – vers les usines, logements, bureaux et autres écoles et casernes de pompiers.
Depuis l’origine, un principe simple a tout structuré : que, quand le consommateur appuie sur un interrupteur, il n’ait pas « peut-être » de l’électricité, mais de l’électricité de manière certaine, à la bonne fréquence et à la bonne tension. Ainsi, il peut prévoir de faire arriver les trains à l’heure et de fabriquer tant de produits par jour.
Or l’électricité a une sale manie : elle se définit par le mouvement. Un courant électrique, c’est juste des électrons qui se déplacent dans un matériau conducteur. Stocker des électrons en mouvement est hélas impossible, sauf dans les matériaux supraconducteurs, et alors on ne peut stocker que des quantités d’énergie ridicules par kg de dispositif.
Bien sûr, cela fait longtemps que les ingénieurs ont cherché à transformer l’électricité en « autre chose », qui peut à nouveau donner de l’électricité quand on en a besoin. Le « stockage de l’électricité », c’est cela ! Tout a été essayé : condensateurs, batteries, eau remontée dans un barrage d’altitude, chaleur stockée dans des réfractaires, etc. Ce sont les barrages qui sont, et de loin, les plus performants pour le stockage de masse. Cela explique pourquoi, en pratique, les seuls dispositifs de stockage à grande échelle dans un réseau sont des barrages spéciaux (il faut une retenue amont et une aval), appelés stations de pompage. Le reste n’a été déployé à grande échelle nulle part sur terre.
A cause de cette grande difficulté à stocker l’électricité, et du consommateur qui prime, les réseaux utilisent de l’électricité garantie, c’est-à-dire produite par des centrales qui répondent à la demande, et non quand il fait beau, il pleut, ou que j’ai gagné au loto (et à ce moment le consommateur s’adapte). 99% de la production électrique mondiale est aujourd’hui fournie par des centrales thermiques et des barrages (l’éolien fait moins de 1% et le photovoltaïque moins de 0,1%), qui sont pilotables.
Les centrales thermiques ne sont rien d’autre que des bouilloires compliquées, produisant de la vapeur qui fait tourner une turbine. La chaleur y est fournie par la combustion du charbon (40% de l’électricité mondiale), du gaz (25%), du pétrole (5%), ou la fission nucléaire (15%). La modulation de la combustion – ou, pour le nucléaire, de la fission en « calmant » le jeu avec des absorbeurs de neutrons – permet alors de moduler la production électrique en sortie. L’hydraulique (15%) se module très facilement, en ouvrant ou fermant le robinet d’eau.
Avec ces modes pilotables, tout allait très bien… sauf que 65% de l’électricité mondiale émet du CO2 au moment de sa production, et dépend de ressources non renouvelables. Alors, vivent les éoliennes ? La réalité ne sera pas si simple. D’abord, les éoliennes sont peu puissantes. La faute à la faible densité de l’air, qui a la mauvaise idée de ne peser que 1,2 kg par m³ (soit presque 1000 fois moins que l’eau). Quand le vent souffle à 40 km/h, une grande éolienne (150 m de diamètre) produit un peu plus d’un kWh par seconde, quand ce sera 100 à 5000 fois plus pour une centrale thermique ou un grand barrage.
La réponse peut sembler simple : il n’y a qu’à construire beaucoup d’éoliennes ! Mais cela multiplie les points d’entrée dans le réseau (qui n’aime pas ca), car les éoliennes ne peuvent pas toutes être mises au même endroit (tout le vent sur terre n’est pas concentré en un seul lieu !). Ensuite, la puissance injectée par une éolienne peut varier d’un facteur 10 en 24 heures, et cela n’a aucune raison de correspondre à la variation de la consommation. Les partisans de l’éolien expliquent alors qu’un parc de machines bien réparti en Europe produira toujours de manière significative, car il y a toujours du vent quelque part.
Mais les faits sont têtus : en pratique, le parc européen produit significativement en cas de dépression atlantique, et très peu sinon. La puissance garantie (celle que l’on est sûr d’avoir à tout moment dans l’année) n’est que de 5% de la puissance installée ! Tant que la contribution éolienne est faible, la modulation des autres centrales permet de pallier cette variabilité, un peu comme si le consommateur était un peu plus fantasque que d’habitude. Mais si l’éolien doit devenir majeur, alors il y aura une intermittence tout aussi majeure dans la fourniture de courant éolien, et le réseau devra trouver « ailleurs » l’électricité en l’absence de vent suffisant (l’autre option est de n’avoir des trains, du chauffage et des usines que quand le vent souffle).
Construire massivement des stations de pompage est certes possible, mais demandera 5 à 10 fois les capitaux nécessaires pour les éoliennes seules. L’autre option est d’adosser l’éolien à un mode pilotable. Aujourd’hui c’est moins cher, et c’est donc ce qu’ont fait les Espagnols (qui ont construit 15 GW de centrales à gaz en même temps que 20 GW d’éolien), les Danois (adossement à l’hydraulique norvégien entre autres), les Allemands (adossement à leur gaz et charbon).
Si le but est de diviser par 4 les émissions de CO2, ajouter des éoliennes à des centrales à gaz ou à charbon qui restent en service nous met très loin du compte. Même avec des économies d’électricité qui sont le premier objectif, remplacer un ensemble « éolien+gaz » par du nucléaire est alors bien plus écologique que l’inverse. Le monde est plein de surprises !