Tribune parue dans Les Echos du 18 novembre 2014
Quand un bien devient plus rare, son prix augmente : cette affirmation n’est-elle pas une des bases solides de nos cours (et modèles) en économie ? Si cela était exact, le pétrole ne devrait pas y échapper : moins d’or noir signifie nécessairement un prix plus élevé, et inversement.
Ce n’est pourtant pas ce qui s’observe. Pendant 50 ans, de 1923 à 1973, le baril va voir son prix varier entre 10 et 25 dollars de 2013, pendant que la consommation mondiale passera de 0,02 à… 2,8 milliards de tonnes ! Arrivent les chocs, et pendant 14 ans (1973-1986) le prix va devenir fortement variable – de 17 à 104 dollars de 2013 le baril – avec une consommation mondiale qui va pourtant rester quasi-constante sur la période, entre 2,7 et 3,1 milliards de tonnes.
1986-2000 offre une nouvelle période de prix sages et faiblement variables (20 à 40 dollars de 2013 le baril) avec un volume qui gagne 50%, de 2,9 à 3,7 milliards de tonnes. Et de 2001 à 2013, la consommation, à nouveau quasi-constante (3,9 à 4,1 milliards de tonnes), s’accompagne pourtant d’un prix qui va faire le yoyo entre 47 et 115 dollars de 2013 le baril !
L’observation du passé montre donc que nous avons pu avoir plus de pétrole avec un prix qui monte, plus de pétrole avec un prix qui descend, ou la même quantité de pétrole avec un prix qui fait n’importe quoi. Aux oubliettes, le joli graphique de nos cours d’économie qui permet de relier de manière commode un volume et un prix. Du reste, ceux qui essaient de tirer des conclusions sur le prix futur avec des mécanismes économiques de ce type ont rarement vu leurs tentatives couronnées de succès.
Depuis 1991, l’Agence Internationale de l’Energie publie tous les ans une prospective sur le prix futur du baril. A quelques exceptions près, probablement dues au hasard, ils se sont toujours trompés. C’est dire si ce mécanisme est fiable !
Le pétrole étant essentiel aux transports (il alimente 98% de ce qui roule, vole ou navigue), sans lesquels il n’y a pas de PIB, et plus de pétrole supposant d’aller chercher des gisements complexes plus chers à exploiter, deux conclusions parfaitement contre-intuitives peuvent s’argumenter. Un pétrole plus abondant ira désormais avec un prix plus élevé, et par ailleurs plus de contraintes géologiques à l’extraction de ce bien indispensable iront avec un prix plus volatil. Et maintenant, faites vos jeux !
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Ce graphique représente, pour chaque année entre 1921 et 2016, la consommation mondiale de pétrole en millions de tonnes (axe horizontal) et le prix du baril en dollars constants (axe vertical).
Il est facile de constater qu’aucune loi simple ne relie le volume de pétrole consommé au prix du baril, ni même la variation de la consommation à la variation du prix du baril : de 1921 à 1973 la quantité de pétrole consommée a été multipliée par plus de 20 avec un prix qui reste stable, puis de 1973 à 1986 le volume consommé reste à peu près identique avec un prix qui fait n’importe quoi, puis de 1986 à 2000 c’est à nouveau un régime avec un prix assez stable et un volume qui augmente fortement, et enfin de 2000 à 2016 le volume est presque constant avec un prix qui varie fortement.
Ce graphique suggère donc que quand bien même nous avons la prévision d’un volume futur de manière assez précise, cela ne permet pas d’en déduire un prix.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP statistical review, 2017 (prix du pétrole et consommation après 1965), et Shilling et al (consommation avant 1965).
Sur le graphique ci-dessus, pour chaque année entre 1862 et 2016 il y a en abscisse (axe horizontal) la variation de prix du pétrole par rapport à l’année précédente, et en ordonnée la variation de la consommation mondiale de pétrole par rapport à l’année précédente.
Si la loi de « l’offre et la demande » devait se vérifier, on devrait voir que quand le prix monte (donc que le point se situe sur la partie droite par rapport à l’axe vertical) alors la consommation diminue (et donc que le point se situe aussi sous l’axe horizontal).
Si cette « loi » était valable, donc, tous les points situés dans le cadran Nord-Est du graphique ne devraient pas y être, mais se situer dans le cadran Sud-Est. Manifestement, ce n’est pas le cas…
Compilation de l’auteur sur sources primaires Shilling et al, et BP statistical review, 2017
Ce graphique représente, pour chaque année entre 1960 et 2016, le PIB mondial en milliards de dollars constants (axe vertical) et le prix du baril en dollars constants (axe horizontal). L’année 1960 correspond au point en bas à gauche, puis les points suivent l’ordre chronologique.
Il est facile de constater qu’aucune loi simple ne relie le PIB mondial au prix du baril, ni même la variation du PIB mondial à la variation du prix du baril : le PIB a pu monter avec un prix du pétrole qui baisse, mais aussi avec un prix du pétrole qui monte, et de 2008 à 2009 le PIB mondial est descendu avec un prix du pétrole… qui est descendu aussi.
Rappelons que le commerce international en général, et celui du pétrole en particulier, est un jeu à somme nulle : si le pétrole vaut plus cher l’importateur paye plus, mais l’exportateur encaisse plus.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP statistical review, 2017 (prix du pétrole), et Banque Mondiale (PIB), 2017
Evolution du prix du baril en dollars constants entre 1985 et 2011 (courbe rouge, légende « historical $ 2009 ») et projections de prix faites par l’Agence Internationale de l’Energie entre 1991 et 2010
(chacune est datée de l’année de publication, avec parfois des variantes qui donnent le sigle qui suit l’année).
Pas une seule ne tombe juste plusieurs années de suite, et quand la tendance a été la bonne cela ressemble plus à un coup du hasard qu’à une grande science de la prévision.
Source : Olivier Rech, Carbone 4, 2011