Tribune parue dans Les Echos du 12 septembre 2012
Le changement, c’est maintenant ! Sur l’énergie, il n’en serait que temps, mais les premiers pas du gouvernement ne rassurent guère sur la compréhension du problème. Les euros nous trompent sur l’énergie, trop souvent vue comme un simple poste de dépense parmi d’autres. L’énergie, c’est ce qui a permis, en 6 générations seulement, la multiplication par un facteur 100 à 1000 de la productivité du travail physique, dans l’agriculture puis l’industrie.
La mécanisation puis la tertiarisation de l’économie ? De l’énergie ! 80% de la population en ville (complètement dépendante des transports pour exister) ? De l’énergie ! La mondialisation ? De l’énergie ! Le pouvoir d’achat et les « acquis sociaux » ? De l’énergie ! C’est bien pour cela que tous les pays « riches », qui sont en fait des pays bien servis en énergie par personne, vivent à peu près pareil. La volonté politique est un déterminant de deuxième ordre à court terme.
En Europe, cette situation est doublement fragile. 90% du pétrole, 65% du gaz, et même 45% du charbon sont importés, pour la bagatelle de 600 milliards de dollars en 2011.
Or, l’approvisionnement européen en pétrole est déjà en déclin (-10% depuis 2005), celui en gaz aussi (-9% depuis 2005), et ces tendances vont se poursuivre, nous faisant osciller entre chocs énergétiques et récessions tant que nous voudrons continuer « comme avant ».
Cette énergie communautaire, fossile à 80%, a engendré l’émission de 4 milliards de tonnes de CO2 en 2011, qu’il faut ramener à 1 en 2050 pour prendre notre part à une relative stabilisation d’un système climatique déjà parti à la dérive, et une agriculture mondiale qui en souffre déjà. Dans ce contexte, que valent les annonces du nouveau gouvernement ?
Prenons l’objectif de ramener le nucléaire à 50% de la production électrique en 2025, entendu 1000 fois. Avec quoi ferait-on l’autre moitié, hélas imposée par les mathématiques ? Un peu d’éolien… et donc beaucoup de gaz quand le vent n’est pas là, au mépris du changement climatique et de la balance commerciale, tant qu’elle tiendra ? Les Espagnols, qui ont suivi cette voie, produisent 2 kWh au gaz quand 1 vient de l’éolien, importent désormais 6 milliards de dollars de gaz par an pour leur électricité, et émettent toujours autant de CO2 par unité de PIB aujourd’hui que… en 1965.
Dans le même temps la France a divisé son ratio par trois. En Allemagne, la baisse du nucléaire sera certes un peu compensée par les renouvelables, mais à bref délai c’est surtout gaz et charbon qui prennent le relais : ces deux modes ont produit 9% d’électricité en plus au premier semestre 2012 par rapport au premier semestre 2011, alors que sa consommation électrique a baissé de 1%.
Les Allemands ont explicitement prévu d’en faire encore plus. Sachant qu’un mix charbon + gaz est pire que le nucléaire à tous points de vue, est-ce un modèle à suivre ? S’agit-il encore d’autre chose, et alors où sont les calculs probants montrant que ce plan va améliorer la balance commerciale, l’emploi (pas juste dans le secteur de l’énergie, car il faut traiter les effet de transfert), les émissions de CO2, et les comptes publics ?
Passons maintenant au pétrole. Sous l’impulsion française paraît-il, le G7 a imaginé une réponse d’une telle simplicité que l’on en est baba : il suffit de demander aux producteurs d’augmenter l’offre ! On se demande bien pourquoi cette idée géniale n’a pas été utilisée pour éviter la baisse de 45% de la production de la Mer du Nord depuis 2000, ce qui a contribué à tripler la facture pétrolière de l’Union, passée de 150 à 450 milliards de dollars dans l’intervalle.
Vient ensuite la subvention – même de 6 centimes – du carburant, alors que c’est l’inverse (la taxe carbone) qui – hors toute considération environnementale – stabilise l’économie et protège les ménages, l’annonce de tarifs subventionnés sur gaz et électricité, alors que tout le monde sait que les bas revenus doivent être aidés par n’importe quel moyen sauf la subvention de l’énergie, et même un soutien à un aéroport supplémentaire fait par… la ministre chargée de faire baisser la consommation de pétrole !
Cet amateurisme est déplorable, et surtout délétère. Après le gel, il y a 2 ans, d’une nécessaire taxe carbone, ce nouveau cafouillage sur l’énergie se paiera cash, par de la dégradation environnementale et du chômage, que suivra la montée du populisme. N’est-il pas temps de commencer à être un peu sérieux sur cette question centrale, au lieu de continuer à bricoler de manière aussi ahurissante ?
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Evolution du coût des importations d’énergie fossile de l’Union depuis 1981, en milliards de dollars constants de 2013.
Calculs de l’auteur sur base BP Statistical Review, 2014
Evolution de la production domestique de pétrole de l’Union Européenne (aire rouge), et des importations de la même zone (aire verte), en millions de tonnes de pétrole.
La production de la Mer du Nord est en déclin rapide désormais, après un maximum historique en 2000, et les importations, sont passées par un maximum secondaire en 2007, comme conséquence du plafonnement de la production mondiale survenu en 2005.
En conséquence de ce qui précède, la quantité totale de pétrole dont l’Europe dispose (rouge et vert additionnés) a perdu -16,5% de 2005 à 2013.
Source : BP Statistical Review 2014
Evolution de la facture énergétique pour l’Espagne, par combustible, depuis 1965, en milliards de dollars constants de 2013.
Une petite moitié du gaz importé sert pour l’électricité.
Calcul de l’auteur sur sources BP Statistical Review, 2014
Evolution du contenu en CO2 d’un $ constant de PIB en Espagne, depuis 1965.
On note que la crise a eu bien plus d’effet que le plan de développement des ENR !
Calcul de l’auteur sur sources BP Statistical Review, 2014 pour l’énergie et World Bank pour le PIB
Evolution de la production domestique (aire orange) et des importations (aire bleue) de gaz en Europe, en millions de tonnes équivalent pétrole.
La Mer du Nord a passé son pic au début des années 2000, avec comme conséquence que l’approvisionnement global (production domestique+importations) a perdu 9% depuis 2005.
Source : BP Statistical Review, 2014
Evolution, mois par mois, de la production électrique allemande, en MWh, selon le type de production
(NB : rupture de série en 1995).
Malgré l’augmentation bien visible de la production ENR hors hydro, la production fossile ne baisse pas, et ce alors même que la consommation est plutôt orientée dans l’autre sens. La courbe grise tout en bas représente le solde des échanges, négatif quand il y a export et positif sinon.
Source : Association Européenne des Opérateurs de Réseaux Electriques, 2014