Tribune parue dans Les Echos du 22 décembre 2009
NB : La version publiée est légèrement différente de la version envoyée au journal, et les coups de ciseaux ne sont pas de moi, comme d’habitude !
La conférence de Copenhague n’était pas encore terminée que déjà nombre de médias français et mondiaux avaient déjà tranché : le succès n’avait pas été au rendez-vous. D’un point de vue médiatique, il y a une grande classique : si ce n’est pas le succès, alors ce sera l’échec. Mais qu’est-ce qu’aurait été un succès, et où commence l’échec ?
Le succès aurait-il été l’élaboration d’un texte aussi bien ficelé que Kyoto… sur lequel la moitié des signataires auraient ensuite quand même pu s’asseoir sans autre forme de procès ? Ce protocole « historique », adopté en séance plénière en 1997 et signé par tous les pays ensuite, n’a en fait pas vraiment changé la trajectoire des signataires : les USA ne l’ont jamais ratifié, la Russie l’a fait 8 ans après, l’Australie plus de 10 ans après, et les engagements de réduction de nombreux pays – même européens – sont restés lettre morte (Canada, Australie, Espagne, Grèce, Danemark, Japon, Finlande, Portugal, Autriche…). Et ils n’en ont subi aucune mise à l’index sur le plan commercial ou politique, ni aucun inconvénient de court terme particulier. Les media français continuent même de présenter les pays nordiques qui n’ont pas respecté leur engagement comme plus écologiques que nous, alors que la France tient le sien !
En quoi un nouvel accord « juridiquement contraignant » dans le jargon onusien (ce qui était le cas du protocole de Kyoto) aurait-il eu une efficacité garantie (ce qui est quand même le but du jeu !), si les chiffres qu’il contenait étaient irréalistes au regard des possibilités qu’ont les dirigeants de ce monde à forcer les consommateurs et les producteurs, c’est-à-dire nous, à réduire les émissions à la bonne vitesse ? Car Copenhague c’était cela, au fond : la confrontation de nos désirs de citoyens et de nos désirs de consommateurs, la bataille entre notre soif de jouissance immédiate sans limites et la triste finitude de notre planète.
Or dans les démocraties, si le consommateur est contre l’effort qui rend possible la baisse volontaire des émissions (taxes, quotas, normes, obligations….), le traité peut être mis directement à la poubelle, et prévoir des chiffres précis et une ratification solennelle en séance plénière n’y change pas grand-chose.
Ne pas vouloir la baisse sera bien sûr seulement la subir : c’est alors la finitude du monde (à commencer par le pic de production du pétrole et du gaz, l’un en cours, l’autre proche) qui s’en chargera, dans des crises à répétition dont 2008 et 2009 nous ont donné un modeste avant-goût (et la prochaine est pour bientôt – 2011 ? 2012 ? 2013 ? – si les pétroliers ont raison).
Déconsommer volontairement, ou déconsommer à cause des crises ? Ce choix n’est pas un choix de fonctionnaire ou de ministre, c’est un choix de peuples, donc de présidents. Et la bonne nouvelle de Copenhague, c’est qu’enfin la discussion se passe au bon niveau. Que les grands de ce monde aient passé une nuit blanche, enfermés ensemble dans une pièce, à mouiller la chemise pour rédiger un texte en commun est même une excellente nouvelle, car de mémoire de diplomate jamais 28 présidents n’ont procédé de la sorte pour discuter d’un accord international. Comment ne pas espérer que cet épisode va durablement impacter ce qui se passera désormais ?
Par contre, quand vous mettez les n° 1 ou 2 de la Chine, les USA, l’Europe et l’Afrique ensemble pour discuter de l’avenir du monde, cela ne se fait plus avec les méthodes feutrées et polies qui prévalaient jusque là. En 24 heures, la realpolitik crue a balayé les pratiques préexistantes, envoyant bouler de fait fonctionnaires et ONG, et nous nous sommes retrouvés au G20, c’est-à-dire dans une configuration où les puissants de la planète cherchent à établir seuls des règles du jeu en l’espace de quelques jours, sans faire dans le détail, sans ménagement pour les troupes, et sans s’encombrer de la signature d’un traité.
Cette évolution a un double avantage incontestable : le premier est que les fonctionnaires de la négociation (qui est permanente, les assemblées comme Copenhague n’étant qu’une étape particulièrement visible du processus) ont désormais un mandat politique clair et partagé sur l’ordre de grandeur de ce qu’il faut négocier dans les détails, alors que ce n’était pas du tout le cas jusqu’ici. Et cela n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut.
Le deuxième, c’est que les déclarations faites par les présidents à l’occasion de cette conférence rendent un peu plus probable la mise en place de règles domestiques, les seules qui comptent tant que les traités non respectés ne signifient ni amendes ni invasions militaires. L’avenir du monde dépend un peu plus des subventions à l’énergie en Chine et aux USA que de la signature d’un traité qui ne reste jamais qu’une déclaration d’intention….
Juger Copenhague à la seule lumière d’une analyse ligne à ligne du texte signé serait donc une erreur, surtout si cette analyse est faite à chaud par ceux qui ont été sortis du jeu (ONG et négociateurs techniques), et qui ont été les premiers à confier leur amertume à la presse, qui a peut-être dégainé un peu vite dans cette affaire. L’accord de Copenhague, selon le terme consacré, ne peut pas être dissocié du contexte dans lequel il prend place.
Un exemple parmi d’autres : quand Barack Obama explique que l’accord est bon pour la sécurité énergétique des USA, il dit implicitement qu’il va mettre les bouchées doubles pour limiter les émissions de CO2, car 40% de la consommation d’énergie américaine est liée au pétrole, dont la production mondiale est désormais au maximum, et va baisser d’ici 5 à 15 ans.
Quand le document final parle d’une commission qui doit réfléchir à la mise en place de « source alternatives de financement » pour dégager des fonds, il faut peut-être comprendre, entre les lignes, que l’avènement d’une taxe Tobin souhaitée par la Grande Bretagne et la France n’est plus impossible : qui l’aurait cru il y a seulement un an ?
L’histoire – et probablement une histoire assez proche – dira si nous venons de vivre la fin des haricots ou si, tout au contraire, nous venons d’enclencher l’accélération du passage à l’action. Et, d’une certaine manière, c’est à nous, acteurs économiques et consommateurs, de se manifester pour que les mois qui viennent permettent de garder le meilleur et d’éviter le pire. Plus que jamais, dire haut et fort à nos dirigeants que nous avons compris que nous étions à l’heure du passage à l’action, que cela était le sens de l’histoire, et que nous étions prêts à prendre notre part à l’effort, est crucial.