Tribune parue dans Les Echos du 16 septembre 2014
412 pages : c’est la longueur, avec exposé des motifs et annexes, du projet de loi « relatif à la transition énergétique pour la croissance verte » qui sera examiné par le Parlement dans le cadre d’une procédure d’urgence.
Examiner 412 pages en urgence, est-ce justifié ? Oui, si le texte présenté est tellement remarquable par la vision qu’il porte, la cohérence d’ensemble, et l’adéquation entre les objectifs et les moyens, qu’il n’y a manifestement pas grand chose à y redire, et qu’il faut surtout contourner des députés rouspéteurs et trop peu soucieux du bien commun.
Mais, paradoxalement, la raison exactement inverse peut aussi commander de passer en force. Si le texte présenté part de problèmes vus là où ils ne sont pas tout en ne disant rien sur ceux qui se posent déjà, juxtapose des objectifs incohérents entre eux, avance des objectifs quantifiés fantaisistes, et promet une fois de plus une croissance qui ne sera pas là, alors il faut surtout ne laisser de temps à personne pour s’en rendre compte !
Soyons factuels : 60% de l’énergie européenne est constituée de pétrole et de gaz (50% en France, où le nucléaire c’est 38%). Le pétrole est en décrue subie depuis 2006 (-16% de 2006 à 2013) et le gaz depuis 2005 (-12% de 2005 à 2013), dans les deux cas par limitation géologique de la production.
Ces deux énergies coûtent 70 milliards d’euros d’importations annuelles à notre pays et occasionnent 90% de nos émissions de CO2. Et surtout leur contraction subie est directement à l’origine de la récession en cours, puisque les kWh c’est le sang des machines qui permettent la productivité du travail.
Que propose la loi sur le pétrole ? Rien. Sur le gaz ? Presque rien. Sur la manière de gérer le problème sans croissance, et donc sans moyens supplémentaires pour subventionner à tout va ? Rien.
Plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes, il était bien plus urgent de taper sur le nucléaire, qui ne fait pas de CO2, évite des importations, procure de l’emploi, et dont la littérature scientifique dit que c’est le mode le plus vertueux sur le plan environnemental pour produire de l’électricité à grande échelle.
Il paraît que la France est le pays du cartésianisme et des plans bien pensés ?
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Part de chaque énergie (hors bois) dans la consommation européenne depuis 1965.
On note que la part des fossiles est aussi écrasante sur notre Vieux Continent.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP Statistical Review 2015
Part de chaque énergie (hors bois) dans la consommation française depuis 1965.
On note que la part des fossiles est majoritaire même en France. On note cependant sa baisse rapide lors de la mise en oeuvre du nucléaire, dans les années 80 et 90.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP Statistical Review 2015
Approvisionnement pétrolier de l’Europe (Norvège incluse) depuis 1965.
En rose : production domestique (essentiellement de la Mer du Nord), qui décline depuis 2000.
En vert : importations, qui déclinent depuis 2005 (c’est-à-dire au moment du plafonnement mondial).
L’ensemble a commencé à baisser après 2006, donc avant la crise, et la tendance sur l’approvisionnement de l’Europe est clairement à la baisse.
Source des données : BP Statistical Review 2015 ; mise en forme par votre serviteur
Origine du gaz consommé en Europe (incluant la Norvège), en millions de tonnes équivalent pétrole par an
(en milliards de m³ cela donne presque les mêmes chiffres).
La production domestique de la zone (aire bleue) décline nettement depuis 2005, et l’ensemble européen aussi par voie de conséquence.
Source des données : BP Statistical Review, mise en forme par votre serviteur
Evolution des importations d’énergie de la France depuis 1965, en milliards de dollars constants
(en euros enlever environ 20%).
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP Statistical Review 2014
Emissions de CO2 en France depuis 1965, par énergie et totales.
La baisse depuis les chocs pétroliers de 1974 et 1979 est bien visible, et elle a été due à la poursuite de la baisse des émissions dues au charbon (mouvement engagé dès le début de la période) et surtout à la baisse tendancielle des émissions dues au pétrole après les chocs pétroliers.
Depuis 2006, cette baisse des émissions de CO2 vient pour l’essentiel de la trajectoire sur la consommation de pétrole, qui ne doit rien au Grenelle de l’environnement mais tout à la contrainte d’approvisionnement de l’Europe.
Source des données : BP Statistical Review ; calculs par votre serviteur.
Evolution de la croissance du PIB en France depuis 1961 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges), et deux calculs qui en découlent.
En orange figurent les valeurs moyennes du taux de croissance sur les périodes 1961 – 1973 (1973 est la date du premier choc pétrolier), 1974-2007 (2007 est l’année qui suit le maximum de la disponibilité énergétique de l’OCDE), et 2008-2014.
Le trait violet en tiretés donne la tendance suivie par ce taux de croissance de 1961 à 2014. Le retour de la croissance permettant de subventionner à tout va la « croissance verte » ne semble pas si évident que cela !
Calculs de votre serviteur sur données World Bank