LENOIR Yves, Climat de Panique, éditions Favre, 2001
(214 pages, 19€)
Yves Lenoir est ingénieur à l’Ecole des Mines de Paris, au Centre Automatique des Systèmes. Je me garderai bien de formuler une quelconque appréciation sur son travail, n’ayant aucune compétence pour ce faire, cela étant il n’y a aucun lien direct entre son activité professionnelle et la modélisation climatique (et cet auteur n’a jamais publié le moindre article en relation avec le sujet dans une revue scientifique). Le travail récent d’Yves Lenoir a consisté à collaborer à la conception d’un robot : c’est assez éloigné des dépressions et anticyclones !
Commentaire
Pour vendre un livre, écrivez « tous pourris »! Quel que soit le sujet concerné, partir de l’idée qu’il existe un complot mondial, une « caste » vendue en bloc aux intérêts de tel ou tel et qui tire les ficelles dans l’ombre, est un bon moyen de s’assurer un succès éditorial, que le propos soit fondé ou pas. Le livre d’Yves Lenoir s’inscrit dans cette démarche. Selon lui, les climatologues seraient tous d’accord pour nous mentir collectivement, constituant une « climatocratie » qui serait « plus puissante que toute autre technocratie » (je cite ! Les Enarques et le Corps des Mines doivent se sentir un peu vexés…) et qui nous abreuverait de mensonges avec le mobile suivant : faire peur pour s’assurer le financement de leur laboratoire.
Maintenant, pour en arriver à cette conclusion, rédigée de manière à peu près intelligible, l’auteur assomme (je crois que le mot n’est pas trop fort) le lecteur avec un amoncellement extrêment indigeste et fouillis de choses fausses ou fallacieuses, et je ne comprends toujours pas comment ce livre a pu obtenir des articles dans la presse qui aient pu dire autre chose que « 80% ce livre est totalement incompréhensible pour le lecteur ». En tout cas que tout journaliste ayant écrit autre chose me contacte pour m’expliquer ce que je n’ai toujours pas compris !
Mais, hélas, ce qui sera une faiblesse pour certains (ne rien comprendre) peut être aussi une grande force : en abreuvant le lecteur de termes techniques et de contestations de débats d’expert, Yves Lenoir donnera au profane – profane devant ici s’entendre comme toute la population francophone mondiale à l’exception de quelques milliers ou dizaines de milliers de personnes bien au fait du sujet – l’impression que c’est un Monsieur très savant et très bien renseigné qui nous parle, et donc qu’il a raison.
Bien renseigné sur ce qui se fait dans le domaine, Yves Lenoir l’est effectivement, mais ou bien il a détourné la conclusion des travaux qu’il relate, ou bien il se fait l’écho de thèses dont un examen un peu approfondi montre qu’elles sont au mieux spéculatives, au pire parfaitement farfelues. L’agrégat de tous les arguments « contre » l’influence de l’homme sur le climat qu’il a pu trouver ne débouche sur aucune vision cohérente de la manière dont « cela devrait fonctionner » (et comment le pourrait-il ? Les raisonnements repris sont généralement invalides).
Il y a un passage du livre de Lenoir qui a dû, et cela peut se comprendre, lui attirer une certaine sympathie, et qui explique probablement qu’il ait eu droit à des recensions positives ou seulement mitigées : c’est quand il accuse, comme l’ont fait avant lui et le feront après un certain nombre de grands bonhommes, l’espèce humaine de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, dégradant l’environnement tous azimuts, détruisant allègrement des équilibres fragiles, gaspillant des ressources renouvelables au-delà du seuil de régénération, piochant sans compter dans les ressources non renouvelables, etc.
Par exemple, si Lenoir critique la non prise en compte de l’irrigation dans les modèles, ce qui ne changerait pas beaucoup la nature du problème climatique, n’est-ce pas une manière détournée de critiquer l’utilisation sans cesse croissante d’une ressource (l’eau) qui ne se renouvelle pas au même rythme, notamment celle de certaines nappes souterraines ?
Mais ce souci pour l’avenir de la planète, que je partage, et bien d’autres personnes aussi, ne donne aucune force probante particulière à ses arguments « contre » la climatologie.
Bref, ce livre est à n’acheter que si vous tenez vraiment à avoir mal au crâne et à financer l’auteur (j’ai bien du le faire pour le lire, hélas).
Pour ceux qui souhaitent rentrer dans le débat technique, voici quelques exemples (pas tous ! Je devrais y passer des jours…) d’affirmations fausses ou fallacieuses contenues dans le livre en question (les points 1 et 2 sont compréhensibles sans connaissances techniques approfondies ; le point 3 nécessite de savoir un minimum de choses sur le rayonnement électromagnétique, et le point 4 est vraiment du domaine du débat d’expert).
1 – Lenoir explique que personne (sauf lui et une de ses connaissances, bien sur) n’a rien compris à la circulation atmosphérique (chapitre 9 p. 99). Selon lui, toute la circulation de l’air dans les basses couches est régie par des « anticyclones mobiles polaires », c’est à dire des mouvements anticycloniques – ou encore des centres de hautes pressions – qui se forment au-dessus des pôles puis se déplacent en direction de l’équateur. Il montre (page 100) une photo satellite prise en mai 1995, et précise que les mouvements circulaires visibles sur la photo correspondent tous à de tels anticyclones provenant des pôles.
Photo satellite du 19 mai 1995 (METEOSAT) reproduite p. 100 du livre d’Yves Lenoir.
Sous les nuages, on reconnait l’Afrique à droite, et l’Amérique du Sud à gauche (et donc l’Atlantique Sud au centre).
Interprétation de la photo de gauche selon Yves Lenoir (AMP désigne un anticyclone mobile polaire).
On notera en particulier que les 2 formations circulaires au-dessus de l’Atlantique Sud et celle au-dessus du Pôle Sud sont censées être des anticyclones.
Maintenant, que disent les archives météo du jour ? Que la moitié des anticyclones d’Yves Lenoir sont en fait….des dépressions !
Représentation de la pression ramenée au niveau de la mer pour le 19 Mai 1995 12 TU, extraite des archives météorologiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration (les hautes pressions sont en rouge, les basses en vert puis bleu).
L’image de gauche correspond a ce qui peut être directement visualisé sur le site web de la NOAA.
L’image de droite a subi un traitement de re-projection pour être directement comparable à l’observation Meteosat (merci à François-Marie Bréon, du LSCE !).
Il y a bien un anticyclone à l’Ouest de l’Afrique du Sud. Par contre, entre celui-ci et l’Amérique du Sud, ce que Yves Lenoir interpète comme étant un anticyclone est en fait….une dépression. De même, au sud de l’Afrique du Sud, les observations météo indiquent une dépression très creusée, là ou Lenoir voit un anticyclone de plus. Comme illustration de la théorie, on fait mieux !
Mais combien de lecteurs de Lenoir – et surtout de journalistes ayant parlé de son livre de manière plutôt positive – auront passé le temps nécessaire à découvrir cette supercherie, sans parler de toutes les autres affirmations inexactes ou fallacieuses contenues dans ce livre ?
2 – Lenoir critique la méthode retenue pour calculer les températures moyennes déduites des échanges radiatifs. Il présente sa conclusion ainsi (page 41) :
- la moyenne mesurée de la température lunaire vaut 252 °K,
- la méthode habituellement employée pour déduire la température des échanges radiatifs, qui n’est pas la bonne selon lui, donne un résultat de 270 °K, donc 20 ° au-dessus,
- puis il indique que la bonne méthode, que l’on devrait utiliser, donne 153 ° K (c’est à dire 100 ° en dessous), et, ce qui surprendra peut-être un lecteur attentif (parce que ce résultat vient en fin d’un paragraphe particulièrement indigeste), que la « bonne » méthode aboutisse à une erreur de 100 alors que la « mauvaise » se trompe de 20 seulement le gêne tellement peu qu’il ne donne aucune explication…
3 – Il est courant de dire, à titre d’illustration, qu’une Terre « sans effet de serre » serait plus froide de 30 °C environ que l’actuelle. Il s’agit en fait d’une commodité de langage, et il serait plus exact de dire que « avec une atmosphère transparente au rayonnement infrarouge émis par la Terre » (mais pas nécessairement transparente à d’autres longueurs d’onde), et « toutes choses égales par ailleurs », la température serait plus basse de 30°C environ (voir page sur le mécanisme de l’effet de serre).
« Sans effet de serre » doit donc s’entendre comme « sans l’effet de réchauffement du sol lié à la présence de gaz interceptant le rayonnement terrestre ». Mais utiliser une expression aussi longue n’est pas commode, et l’on a raccourci en « sans effet de serre ». Si l’on se limite à souligner qu’il s’agit d’une simplification de langage un peu abusive, l’argument est parfaitement recevable.
Mais Yves Lenoir, qui est suffisamment au fait du sujet pour savoir qu’il s’agit d’une commodité de représentation, passe 20 pages (38 à 56) à disserter sur le sujet en prenant l’expression au pied de la lettre, et considère que « sans effet de serre » doit s’entendre comme « totalement transparent à tout type de rayonnement électromagnétique » ; un gaz « sans effet de serre » est alors incapable d’échanger de l’énergie avec le milieu par le biais de ce rayonnement.
Un tel gaz est cependant parfaitement imaginaire (les transitions entre états excités des atomes n’existent alors plus, ou correspondent à des photons d’énergie infinie !). Peu importe alors ce qu’il conclut : un gaz sans effet de serre, au sens ou il l’entend, n’existant pas dans la nature, en aucun cas il ne peut comparer une situation matériellement impossible avec la situation actuelle pour expliquer dans quel sens influe la présence dans l’atmosphère de gaz interceptant les infrarouges lointains.
Sur la Terre « sans effet de serre » de Lenoir, par exemple, la température de l’atmosphère décroît quand on s’élève au-dessus du sol et atteint le zéro absolu (soit -273,15 °C) à 35 km d’altitude (rappelons au passage qu’il est physiquement impossible de parvenir au zéro absolu). Et au-dessus, il y a quoi ?
Autre perle relevée dans ce paragraphe : Lenoir considère que si le bilan des échanges purement radiatifs de l’atmosphère avec le reste de la terre ou l’espace est négatif (ce qui est vrai : l’atmosphère reçoit de l’énergie sous forme de chaleur sensible, de chaleur latente, et de rayonnement infrarouge, et restitue l’ensemble sous forme de rayonnement infrarouge, donc pour la partie purement radiative, son bilan net est négatif), c’est que l’effet de serre refroidit la planète !
4 – Lenoir explique que les variations climatiques récentes peuvent s’expliquer comme résultant des variations de l’activité solaire, laquelle conditionne la couverture nuageuse. Il cite (page 123) les travaux d’une équipe de chercheurs danois (Svensmark et Friis-Christensen) qui a aussi, en son temps, été citée sur Arte (et a beaucoup contribué à semer le trouble dans les esprits). D’après Lenoir, le mécanisme est le suivant (en fait j’ai rajouté les explications qui manquent, parce que Lenoir est loin d’exposer la chose comme cela) :
- les variations de l’activité solaire engendrent une variation du champ magnétique solaire (cela est exact),
- le champ magnétique solaire exerce encore une influence significative au voisinage de la Terre (exact),
- cette dernière est par ailleurs bombardée en permanence par un rayonnement composé de particules chargées de très haute énergie venues de l’espace, qui s’appelle le rayonnement cosmique (exact),
- ce rayonnement cosmique transmute des gaz dans la haute atmosphère et les transforme en éléments solides, qui, en référence à leur origine, sont dits cosmogéniques (exact, c’est ainsi que se forme l’isotope 10 du béryllium, dont la concentration dans les glaces polaires sert à reconstituer l’ensoleillement),
- les variations du champ magnétique solaire influent sur la trajectoire de ce rayonnement cosmique au voisinage de la Terre (n’importe quel champ magnétique influe sur la trajectoire d’une particule chargée) et donc sur l’intensité du bombardement terrestre, et donc sur la formation d’éléments cosmogéniques solides (exact),
- il faut des impuretés dans l’air – que l’on appelle noyaux de condensation – pour que les gouttelettes d’eau qui composent les nuages puissent se former (exact),
- les variations du rayonnement cosmique – liées, donc, aux variations d’activité du Soleil – font varier le nombre de particules solides dans l’air et donc le nombre de noyaux de condensation disponibles, et donc la couverture nuageuse (c’est cette partie qui est spéculative).
En fait d’autres travaux mettent en évidence que la corrélation entre les deux évolutions (couverture nuageuse et activité solaire) rapportée par les chercheurs danois s’observe sur une courte période (15 ans), mais que de part et d’autre elle n’existe plus, outre que les calculs ont été faits en supposant la concordance de deux jeux de données qui, dans la pratique, ne sont pas cohérents entre eux.
Dans un article récent (Reply to comments on « variation on cosmic ray flux and global cloud coverage – a missing link in solar-climate relationships », Svensmark & Friis-Christensen, Journal of Atmospheric and solar-terrestrial physics, 62 (2000), 79-80), que Lenoir se garde bien de citer, les mêmes chercheurs danois écrivent que :
- la micro-physique des nuages n’est pas bien connue (voir à ce sujet mon commentaire de « Combien pèse un nuage« ), et qu’ils ne sont pas à même de proposer une explication physique reliant formation d’éléments cosmogéniques et couverture nuageuse,
- « il est certainement possible que d’autres facteurs influent sur la couverture nuageuse » (je cite),
- simplement, « on ne peut pas encore définitivement exclure un effet du rayonnement cosmique sur les variations de la couverture nuageuse« .
Mais « on ne peut pas définitivement exclure » n’est pas équivalent à « il existe » !
Les auteurs des travaux qui ont fait tant de bruit reconnaissent eux-mêmes qu’ils n’ont donc pas mis en évidence une relation de cause à effet, mais indiquent simplement que l’on ne peut définitivement écarter la possibilité d’un tel effet, pour lequel ils n’ont du reste pas de mécanisme physique évident à proposer, et enfin que son amplitude, si effet il y a, ne peut être estimée. Bref, un grand coup de prudence !
Ignorer alors, comme le fait Lenoir, cet appel à la prudence émis par ceux-là même qui ont été à l’origine de la polémique est au mieux une négligence coupable, au pire une volonté délibérée d’adapter la réalité à sa vision des choses.